Noé: un déluge d'interprétations

Noé

Aronofsky a récement réalisé un film qui nous présente une sorte de fable dans laquelle il place Noé dans des situations dramatiques qui ne se retrouvent pas dans le récit de la Bible. Ainsi, son Noé permet de faire une réflexion sur des thématiques actuelles comme l’écologie ou la responsabilité des humains dans leur propre destruction. 

Ce réalisateur a produit ce que la tradition juive appelle un midrash. C’est une méthode d’interprétation qui utilise des paraboles, des allégories ou des métaphores pour produire des commentaires d’un récit biblique réactualisé. Un midrash a l’avantage de garder vivants les personnages et les traditions de la Bible, mais il a le désavantage de donner aux lecteurs des récits qui s’éloigne de plus en plus du texte biblique de départ. Plusieurs personnes reprochent au film sur Noé de ne pas s’en tenir au récit de la Bible. Pourtant son objectif n’est pas de proposer une interprétation littérale, mais plutôt une réécriture de ce passage pour aujourd’hui.

La plupart des gens l'ignorent, mais l’histoire de la rédaction du récit de Noé dans le livre de la Genèse a aussi connu plusieurs étapes. Le texte qui nous est parvenu a donc connu quelques rédactions successives,  parce que les rédacteurs voulaient adapter le récit à leurs préoccupations. Un peu comme le cinéaste aujourd'hui.

Atrahasis, le Noé mésopotamien

L’épopée de Gilgamesh est un texte provenant de la Mésopotamie ancienne qui a manifestement inspiré le récit biblique du déluge.  Comme cette région est située entre deux fleuves, le Tigre et l'Euphrate, il n'est pas étonnant qu'elle soit à l'origine de récits de déluges! Dans ce texte ancien, Gilgamesh recherche le secret de l’immortalité. Dans sa quête, il rencontre Atrahasis  - le nom de ce personnage varie selon les sources –, devenu immortel après avoir échappé au grand déluge. Voici quelques-uns des éléments de ce récit qui se retrouvent aussi dans celui transmis par la Bible : un déluge provoqué par la divinité, un homme qui construit un bateau et y loge des animaux, des précisions sur la dimension de l’embarcation, une longévité exceptionnelle pour un, l'immortalité pour l'autre, etc. 

Par ailleurs, les Hébreux n’ont pas fait que copier le récit de Gilgamesh. Un peu comme pour le film de Noé, ils ont pris des éléments principaux de l’histoire pour raconter une histoire qui leur faisait sens. Ce qui explique les nombreuses différences entre ces deux textes au sujet du rôle de Dieu et des hommes.

Deux récits en un

Le récit de Noé était si populaire que chez les Hébreux qu’il était même raconté de deux façons différentes. Une lecture attentive des chapitres 6 à 9 de la Genèse montre plusieurs incohérences, démontrant qu’il y a eu deux récits amalgamés en un seul :

•    Deux ordres divins différents sont donnés pour charger les animaux dans l’arche (Gn 6,19 et 7,2-3).
•    Dans un premier passage, le déluge commence sept jours après l’entrée dans l’arche (Gn 7, 7-10) alors qu'un peu plus loin, il débute le jour de l’entrée dans l’arche (Gn 7, 13-15).
•    Il y a aussi deux versions différentes de la durée du déluge : « quarante jours et quarante nuits » ou 150 jours selon les versets. 
•    Dieu demande à Noé de prendre avec lui un couple de chaque espèce animale (Gn 6,19-20); ailleurs, Dieu lui demande de prendre sept couples d’animaux purs et un couple d’animaux impurs (7,2).

À l’origine, chacune des deux histoires amalgamées dans ce récit avait sa propre façon de raconter les événements. Il s'agissait de  faire ressortir ce qui était jugé important pour le groupe qui la racontait. 

On voit bien que le film de 2014 au sujet de Noé n’est pas la première interprétation créative de ce récit. Depuis le récit mésopotamien, l’histoire de Noé a été réinterprétée par différents groupes avant d’être fixée dans le texte que nous donne le livre de la Genèse. C’est maintenant à notre tour de faire comme le film d’Aronofsky et de raconter cette histoire avec de nouveaux accents pour qu’il nous permette une réflexion sur les enjeux actuels. 

Noé en bref
Signification de son nom Repos ou consolation
Noms de ses fils Sem, Cham et Japhet
Première action en retournant sur la terre ferme    Offrir un animal en sacrifice (C’est un peu ironique qu’il ait survécu au déluge pour être sacrifié à la fin du récit)
Signe de son alliance avec Dieu  L’arc-en-ciel
Durée de vie 950 ans
Pire moment de son histoire personnelle  En plantant une vigne, Noé est le premier agriculteur. Il est aussi le premier à s’enivrer jusqu’à se retrouver nu et inconscient. (Gn 9, 20-27)
Une question insolite  Et, les poissons? Pourquoi sont-ils épargnés de la destruction lors du déluge?


 Sébastien Doane