Une c’est bien… deux c’est mieux!  Les aventures de Débora et Yaël

Débora et Jaël
Barak, Débora et Jaël : un nouveau chef et deux femmes courageuses | jw.org


Le mois dernier, nous avons rencontré un personnage biblique féminin fascinant.  Une femme entrepreneure digne d’éloges nous attendait au terme du Livre des Proverbes.  Son anonymat ne nous aide malheureusement pas à gérer notre inquiétude.  Cette «femme sans nom» semble renforcer le silence appréhendé de la Bible quant au rôle des femmes dans l’histoire du salut.

Pour défoncer ce mur du silence, nous pouvons nous tourner vers plusieurs personnages féminins clairement identifiés.  Par exemple, nous pouvons renouer connaissance avec Débora.  Cette femme de solide réputation était membre de la confrérie très masculine des «Juges en Israël».
J’avais bien du mal, jusqu’à cet été 2015, à justifier ce qui me fascine dans ces chapitres 4 et 5 du Livre des Juges.  Peut-être la nostalgie des études bibliques à Rome?  J’ai jadis englouti des semaines à livrer bataille pour traduire l’hébreu guttural de ces récits sanglants et de cette poésie épique.  J’y ai trouvé des scénarios haletants dignes des meilleures bandes dessinées!  Mais la violence contenue dans ces pages en transformait la lecture en plaisir coupable…

L’actualité mondiale de l’été 2015 permet de relire avec une empathie accrue ces pages violentes.  Nous pensions devoir les arracher, tant elles contredisent les harmonies de l’évangélisation.  Les bulletins de nouvelles des derniers mois nous prouvent que ces récits et ces personnages ont plus que jamais leur raison d’être.  J’y reviendrai plus loin.  Pour l’instant, apprécions la contribution vigoureuse de Débora et Yaël, célébrées dans ces pages bibliques «pour adultes avertis».

Le leadership de Débora

Nous n’avons pas le curriculum vitae de madame Débora.  Ses compétences se résument en un mot : «prophétesse» (Juges 4, 4).  Elle surgit après le juge Éhoud, lorsque «les fils d’Israël recommencèrent à faire ce qui est mal aux yeux du Seigneur»  (Juges 4, 1).  L’histoire de Débora semble donc s’ouvrir sur un éternel recommencement.  Mais la suite est originale et riche en hémoglobine!  Car madame la prophétesse est très fidèle à la définition de tâche d’un prophète : elle transmet les ordres divins avec clarté.  Ainsi, monsieur Baraq est mandaté pour réunir une armée de dix mille hommes au Tabor.  Il vaincra les neuf cent chars de guerre de Sissera, le chef de l’armée ennemie.  Baraq accepte à condition que Débora prenne part à l’événement.

Débora est d’une franchise troublante.  Elle révèle à Baraq une note de bas de page du contrat divin.  L’honneur de la victoire ne sera pas pour lui.  «C’est à une femme que le Seigneur abandonnera Sissera» (Juges 4, 9)  Pour des Méditerranéens crampés dans leurs rôles sociaux, c’était une baffe retentissante.

En lecteurs pressés, nous croyons que l’honneur d’abattre le méchant général reviendra à Débora.  Erreur!  Le récit biblique fait soudain entrer en scène un deuxième personnage féminin, sitôt terminé le déferlement des hommes de Baraq contre Sisséra.

La stratégie de Yaël

«Le Seigneur frappa de panique Sisséra, tous les chars et toute l’armée» (Juges 4, 15).  Que peut-il lui arriver de pire?  Une autre femme arrive dans le décor.  Après Débora la messagère et la stratège, voici Yaël la rusée.  Son cv est encore plus court que celui de Débora.  Yaël occupe la tente de Hèber son mari pacifique, en paix avec le roi Yabine, le patron de Sisséra (Juges 4, 17).

Là où nous ne voyons qu’une «femme au foyer», nous allons bientôt découvrir une redoutable Amazone.  Yaël a compris qu’un accueil chaleureux peut attirer le général en déroute dans un piège fatal : «Arrête-toi chez moi; ne crains rien» (Juges 4, 18)  Au général qui demande de l’eau, Yaël donne plutôt du lait, bien réchauffé dans son outre.  Vous devinez la suite : le général en fuite s’endort comme un bébé.  Yaël n’attend pas le passage de Baraq, le vainqueur, pour river au sol le crâne de Sisséra.  Elle accomplit cet exploit avec… un piquet de tente (Juges 4, 21).  J’ai toujours cru que le camping était un sport extrême : en voici la preuve… biblique!  En même temps, j’ai toujours cru que les femmes n’avaient pas que des petits rôles dans la Bible.  En voici deux exemples avec Yaël et Débora.  Au point où le chapitre 5 des Juges est complètement dédié à chanter la contribution exceptionnelle de Débora, «mère en Israël».

Le Livre des Juges, un livre réconfortant

Comme disciples de Jésus, nous rejetons la violence pour gérer et régler les conflits.  Cela explique peut-être pourquoi nous boudons un livre aussi violent que le septième livre de la Bible.  Nos convictions pacifistes sont cependant mises à rude épreuve par les temps qui courent...  L’irruption sur la scène mondiale de groupes terroristes sanguinaires remet en question nos convictions les plus sincères.  Quand tant de nos coreligionnaires sont liquidés sans autre raison que leur appartenance religieuse, quand l’humanité se voit privée de l’accès à tant de trésors culturels, quand des milliers de migrants dérèglent les frontières, avons-nous seulement le devoir de nous taire en tendant l’autre joue?  Notre désir d’évangéliser doit-il anesthésier notre sursaut d’humanité?

Ce paradoxe intolérable nous fait soudain comprendre la pertinence dans la Bible d’un livre agité comme le Livre des Juges.  Ses récits décrivent les effets corrosifs de la tiédeur des bénéficiaires de l’Alliance offerte par Dieu.  En relisant ces récits dans le contexte actuel, nous trouvons bien vite des liens entre les bêtises de jadis et notre situation.  Les chants d’espérance des Hébreux ont beau être sanguinaires (Juges 5), la délivrance racontée nous invite à voir plus loin que les nuages foncés qui s’accumulent à l’horizon.

Nous ne prendrons pas les armes contre les terroristes.  Nous ne copierons pas les exploits des Juges du temps jadis.  Par contre, nous commençons à comprendre pourquoi ces personnages, hommes et femmes, ont été perçus comme des dons de Dieu.  Au point de voir leurs bruyantes guérillas conservées dans le monument de foi et de charité qu’est notre Bible.  Nous avons longtemps pensé que ces récits guerriers étaient dépourvus d’intérêt. Mais les dégâts causés par les hordes d’«ados attardés» viennent changer la donne.  Ces terroristes se sentent importants avec leur Kalachnikov. Qu’en pense le Dieu vivant?  Surveillons l’actualité des prochains mois.  Qui sera le prochain Baraq?  Qui seront les prochaines Yaël et Débora?

Alain Faucher

Première parution : Pastorale-Québec / échéance du 4 septembre 2015
Dessine-moi un personnage…  biblique!  
31082015