Samson, le Louis Cyr de la Bible
Pour célébrer l’été, quoi de mieux qu’un album de bandes dessinées? Certains d’entre nous carburent aux aventures états-uniennes d’un justicier qui s’éloigne dans le soleil couchant sur sa monture sympathique. Pas de chance, d’autres ont envie de calme et raffolent d’un classique local, genre Paul à Québec.
Vous trouvez que cela fait trop tasse de thé? Que l’époque post-Charlie Hebdo exige davantage d’action? Faites plutôt la connaissance d’un personnage biblique qui pourrait alimenter une tonitruante bande dessinée de terroristes et de guerilleros! Ce personnage du Premier Testament qui semble surgi de l’actualité des derniers mois, c’est Samson, le «petit soleil» (si on se fie à l’écriture hébraïque de son nom). L’homme fort de la Bible fait penser au dieu Hercule. Avec un côté tragique en plus. Le livre des Juges y consacre quatre chapitres (Juges 13-16).
Les aventures de Samson : le scénario«Douzième et dernier des héros présentés par le livre des Juges (Jg 13-16). Après un beau récit de sa naissance annoncée par un ange à sa mère stérile, vient la série haute en couleurs de ses exploits contre les Philistins. Il déchire un lion de ses mains, emporte sur les épaules la porte d’une ville, tue ses adversaires avec une mâchoire d’âne. Le dernier épisode est le plus célèbre. Dalila, la femme qu’il aime, lui arrache le secret de sa force, qui réside dans ses cheveux longs. Elle les lui coupe dans son sommeil, et le livre, désormais sans force, aux Philistins qui l’enchaînent et lui crèvent les yeux. Mais ses cheveux repoussent; conduit dans le Temple de Dagon, il en provoque l’écroulement et entraîne avec lui dans la mort la foule rassemblée pour fêter sa défaite.» Maurice Carrez, Dictionnaire de culture biblique, Paris, Desclée de Brouwer, 1993, page 257. |
Samson a quelque chose du lonesome cowboy, style Lucky Luke. Il s’attaque toujours seul aux ennemis des Hébreux. Qu’il incendie les moissons en y lançant des couples de renards attachés à des torches, ou qu’il arrache les portes de la ville de Gaza en les transportant sur son dos 70 kilomètres plus loin…
En même temps qu’il vit ses cabrioles d’homme fort, Samson vit une intimité profonde avec Dieu. Voilà sa véritable force. À la fin de ses aventures, il renoue avec le signe capillaire de son naziréat, sa consécration à Dieu. Devant la foule des Philistins en liesse dans le temple de leur dieu des récoltes, Samson entraîne dans sa mort tous les moqueurs. Ainsi, il anéantit par la force de Dieu les prétentions des envahisseurs, venus de la mer, sur les Hébreux des zones montagneuses.
La force du commencement
Mais revenons à ses origines. Le récit biblique donne dès le début des indices du sens positif de ses rocambolesques aventures. Il a souvent l’air d’homme fort un peu nono. Mais attention! Juges 13 nous fait assister longuement à la visite du messager de Dieu auprès des futurs parents, Manoah et son épouse. Il est utile, ce long prologue, car dans les épisodes qui suivent, nous nous demandons souvent si Samson est cinglé ou si Dieu est vraiment de son côté…
Quand Samson ose marier une fille des Philistins, les lecteurs doutent de la cohérence de son jugement. Le narrateur nous confie qu’il s’agit d’une décision inspirée par Dieu (Juges 14, 4). Son choix étrange est donc cohérent avec son état de consacré à Dieu.
Lectrices et lecteurs sont mieux informés des motivations profondes de Samson que les autres personnages qui occupent la scène avec lui. L’homme fort qui tombera aux mains des ennemis devient, à sa manière, un cheval de Troie habité par Dieu… Il aura le dernier mot sur les envahisseurs. Comme, bien plus tard sur la ligne du temps, le Dieu des exilés qui finira par se jouer des prétentions des Mésopotamiens de tout acabit…
Une contribution importante
Généralement, nous trouvons répugnantes les pages de la Bible qui parlent de guerres et de massacres. Nous trouvons superflus ces récits qui ne parlent pas d’amour et de convivialité. Les situations décrites dans ces pages «de trop» rejoignent pourtant des problèmes qui empoissonnent notre propre époque! Des ados attardés se donnent de l’importance en se promenant avec des Kalachnikov. Malgré toutes nos prétentions de gentillesse et de convivialité évangéliques, on se tiraille encore allègrement au Proche-Orient!
Pour en finir avec les horreurs lancées dans nos médias par des brutes sans pitié, nous avons plutôt intérêt à faire face à la réalité historique. Homme de jadis, Samson, l’homme fort de la Bible, est malgré tout habité par un souffle divin. Dieu est présent dans son univers chaotique. Samson a beau tuer mille adversaires, il sait implorer Dieu de ne pas le laisser mourir de soif dans les rochers (Juges 15, 18-19).
Dans la situation actuelle, sommes-nous plus rationnels que Samson? Il est parfois trop centré sur ses émotions. Par exemple, lorsque Dalila s’y reprend à quatre fois pour lui arracher son secret. Mais dès le début de ses aventures, son énigme sur le lion et le miel (Juges 14, 14.18) témoigne de la complexité de sa personnalité et de son rôle. Force et douceur se combinent pour dire… quoi au juste? Au-delà des potins sentimentaux et des coups pendables assénés aux Philistins, quel est l’apport de Samson au message de la Bible? Faut-il le cantonner dans son extrémisme guerrier et sa facilité à se laisser mener par le bout du nez chaque fois qu’une femme lui fait de l’œil? Même aveuglé par des ennemis sans pitié, Samson reste clairvoyant. La scène finale de la destruction du temple philistin est digne d’un manuel d’ingéniérie…
Le Nouveau Testament répond à cette question de la pertinence du personnage Samson. Dans l’Épître aux Hébreux, le long chapitre 11 l’inscrit dans la liste des grands témoins de la foi. Il y figure avec trois autres héros du livre des Juges : Gédéon, Baraq et Jephté. Ils étaient faibles et ils se sont comportés en hommes forts (Hébreux 11, 32-34). Le message implicite est intéressant pour nous : «Si Dieu peut passer par un tel personnage, il peut passer par n’importe qui». Même par nous…
Cette conclusion tirée du Dictionary of Biblical Imagery (Intervarsity Press, Leiceter, Angleterre, 1998, page 757) pave la voie à une forte conviction du pape François, lorsqu’il dit de chacun de nous : «Je suis une mission sur cette terre, et c’est pour cela que je suis dans ce monde. Je dois reconnaître que je suis comme marqué au feu par cette mission afin d’éclairer, de bénir, de vivifier, de soulager, de guérir, de libérer.» (La joie de l’Évangile, 273)
Samson, cette caricature de la force et de la faiblesse, donne chair à la conviction pontificale sur la mission personnelle. En pleine saison estivale de farniente, relire ces pages bibliques pleines de rebondissements m’invite à réfléchir à ma propre mission! Aurions-nous une sainte guerilla spirituelle à mener dans les prochains mois? Par exemple contre le défaitisme, la léthargie, les clichés médiatiques qui égratignent la beauté de la vie et de la foi?
Alain Faucher
Première parution : Pastorale-Québec, échéance du 19 mai 2015
Chronique «Dessine-moi un personnage… biblique!»