Profession?  Personnage biblique… secondaire!

Lire la Bible
En train de chercher des personnages bibliques discrets


Lire la Bible, cela ressemble parfois à ce qui se passe au cinéma ou à la télévision.  Dans un film, dans un téléroman, il y a des personnages qui crèvent l’écran.  Les spectateurs se souviennent de leur nom fictif.  Ils habitent notre imaginaire.  On rêve de leur faire la conversation.  Comme si ces personnages étaient réels.

À côté de ces vedettes, il y a beaucoup de personnages secondaires, femmes ou hommes.  Ils circulent brièvement dans notre champ de vision.  Elles ouvrent une porte ou une fenêtre.  Le plus souvent de manière anonyme.  Sans paroles.  Mine de rien.  Parfois, ces personnages secondaires (secondaires… à première vue!) disent une phrase ou posent un geste qui fait avancer l’action.  Cela met en valeur l’héroïne, le personnage principal.

Vous me voyez venir.  J’ai envie d’attirer votre attention sur quelques personnages surgis de la foule des acteurs bibliques de deuxième ou troisième plan.  Le plus souvent, leur existence se résume à une action, une parole, un geste à peine évoqué…  Nous les remarquons à peine.  Tantôt, ils et elles n’ont pas de nom.  Seulement 3100 personnes sont nommées dans la Bible, selon le Dictionnaire des noms propres de la Bible (Cerf – DDB, 1978).

Pour alimenter notre culte de la vedette, cela s’avère une bien maigre pitance.  Mais ce «bien peu de choses» contribue à la diversité de la Bible.  À l’image de notre vie quotidienne, peuplée de figurants silencieux ou de passants anonymes.  De cette foule émerge parfois un visage radieux, un inconnu serviable, un exemple inoubliable…

Les spécialistes des récits bibliques utilisent un vocabulaire varié pour décrire cet amalgame mouvant de personnages à peine esquissés.  On les qualifie de «faire-valoir», de «repoussoirs», de «figurants».  On va jusqu’à les traiter de «ficelles», tant leur identité est mince.  C’est comme dans notre vraie vie.  Nous croisons souvent des personnes auxquelles nous ne nous attardons pas.  Cela n’empêche pas que ces gens aient un impact sur la société.  Le problème, c’est notre insensibilité devant leur valeur comme êtres humains.  Notre aveuglement devant leur originalité et leur contribution à la grandeur de l’humanité.  Il n’est pas nécessaire d’obtenir l’Oscar du meilleur rôle de soutien pour être quelqu’un dans la vie...

Bon, trêve de culpabilité.  C’est le temps du grand ménage de printemps.  Alors, dépoussiérons le texte biblique.  Rencontrons quelques membres de la confrérie des personnages secondaires.  Avertissement numéro un : j’y vais dans le désordre, dans l’un et l’autre Testaments.  Avertissement deux : ma liste ne contient pas seulement des humains.  Elle est globale, au point de contenir du minéral, de l’animal et du végétal.

Les bénéficiaires anonymes

Dans les évangiles ou dans les Actes des apôtres, des gens sont ramenés à la santé ou à la vie sans qu’on ait le temps d’entendre leurs impressions.  Cela ferait de la bonne copie pour le Sept jours ou La semaine.  De toute évidence, la préoccupation de la Bible est ailleurs.  Elle met en valeur le rôle de Jésus ou des apôtres qui agissent en son nom.  Alors tant pis pour les émotions vécues par la femme en hémorragie depuis douze ans (Marc 5, 25-34), la fille du chef de synagogue qui vieillira au-delà de ses douze ans (Marc 5, 37-43), le fils ressuscité de la veuve de Naïm et sa mère tout aussi anonyme (Luc 7, 11-17), l’aveugle-né et ses parents diplomates (Jean 9), le jeune Eutyque tombé de la fenêtre en pleine prédication des apôtres (Actes 20, 9-12).  Seule certitude sur celui-là : il ne travaillait pas pour le Cirque du Soleil

Le serpent, pseudo-théologien

L’animal!  Il est bassement reptilien dans ses tactiques d’approche de la Mère-des-vivants, Ève (Genèse 3, 5).  Mais en même temps, il est un formidable créateur de zizanie.  Il est même d’actualité.  Quand il prétend savoir ce que vaut la consigne donnée par Dieu, il ressemble aux gens qui se moquent ouvertement de Dieu et des croyants.  Non, le serpent n’est pas un humain et encore moins un «dieu du mal».  C’est un formidable agent de distraction et de perversion.  À notre époque, qui sont ces serpents qui sifflent sur nos têtes (Racine, Andromaque, V, 5) en se prétendant plus lucides que Dieu?

Madame Dupalmier

Vous pouvez faire sa connaissance en Genèse 38.  De son nom hébreu «Tamar», c’est un des personnages féminins les plus «stratèges» de la Bible.  Elle joue à fond les conventions sociales de son temps pour assurer à son mari défunt une descendance.  Il en fut privé par son père, le très tordu Iehouda.  Tamar est brillante, à la hauteur de la verdeur de son nom hébreu.  Elle est multitâche comme le palmier qui donne de l’ombre, fournit des fibres végétales et des fruits gorgés de miel.  Tamar mérite de figurer dans la généalogie de Jésus (Matthieu 1, 3), ce Hall de la renommée du Peuple de Dieu.  À elle seule, elle suffit pour remettre en question l’idée farfelue qui consiste à affirmer sans vérification que «la Bible est toujours contre les femmes».

Philémon

On connaît cet aimable chef de famille par déduction, parce qu’il a reçu une toute petite lettre de saint Paul.  Une lettre brillante remplie d’allusions, qui nous laisse deviner en vingt-cinq versets le pouvoir économique de Philémon et son potentiel de soutien pour l’Église naissante.  Les propos de Paul au sujet de l’esclave Onésime fraîchement baptisé révèlent le pouvoir de transformer les relations sociales des membres de la jeune Église.  Cette révolution sociale vécue dans le christianisme a mis l’Empire romain sens dessus dessous en quelques siècles.  Et maintenant, on devrait reléguer notre foi à la penderie de nos maisons privées?

Pierre, oreiller ou personnage?

Je ne parle pas ici de saint Pierre.  Je fais allusion à un gros caillou qui sort soudain de l’anonymat normal pour une roche de Terre sainte.  Je vous le concède, ce minéral n’a rien d’humain.  Pourtant, Genèse 28, 10-22 le met en scène en parallèle avec Jacob.  Le fuyard prend conscience de la présence de Dieu dans un lieu inhospitalier.  Comme ce sera le cas pour Jacob dans les chapitres suivants, la pierre «vit» une transformation de statut étonnante.  C’est d’abord une pierre quelconque d’un endroit connu des seuls destinataires originaux du récit.  Jacob, surpris par la nuit, s’en sert comme oreiller.  Cauchemar garanti.  Pourtant, il vit un songe étonnant et prometteur.  Au réveil, Jacob consacre la pierre en la dressant comme une stèle.  Lisez l’épisode : on dirait que la pierre va se mettre à parler, tant elle devient importante.  Fascinant, comme dans un reportage de Découverte!

Secondaires et pourtant importants

Puisse mon échantillonnage de personnages secondaires vous aider à apprécier, à l’avenir, les intervenantes et intervenants discrets de nos récits bibliques.  Ils et elles apparaissent sur la scène, le temps d’un petit coucou qui fait avancer l’histoire du salut.  Ma liste n’est pas une norme.  Elle vous invite à dresser votre propre liste de témoins discrets d’une alliance divine.  Ces témoins de notre héritage commun sont aussi discrets que vous et moi dans le grand concert éternel du salut universel.  Et pourtant, ces témoins nous font réfléchir, jubiler et prier…  Ne boudons pas nos plaisirs de lectures bibliques!

Alain Faucher

Première parution : Pastorale-Québec, échéance du 20 avril 2015  
Chronique «Dessine-moi un personnage… biblique!» 
19042015