Noël

Noël, c’est (surtout) pour les adultes

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Luc 2, 1-20  Isaïe 9, 1-6

Il y a deux fêtes de Noël.  Il y a le Noël qui me heurte, et il y a le Noël dont je ne me lasse jamais.  Le Noël qui me tombe sur les nerfs, c’est la parodie de fête où nous enferment l’univers médiatique et les «souhaits de la saison».  La seule logique de l’événement annuel devient le commerce qui prend prétexte des rêves des enfants pour vendre n’importe quoi.  Certes, comme adultes, nous embarquons.  Il faut tellement de choses pour célébrer correctement Noël!  Le centre de gravité de la fête se déplace du 25 décembre vers les semaines de magasinage intensif.  Un indice de ce déséquilibre?  Sitôt la date de la fête atteinte, les médias passent le plus vite possible à autre chose.  N’importe quoi, sauf des cantiques de Noël le 26 décembre!

Qu’on me comprenne bien.  Je n’ai rien (ou si peu) contre le commerce de Noël ou contre le bonheur des tout-petits.  C’est créatif, ludique, réconfortant au moment le plus sombre de l’année.  Surtout pour les adultes.  Mais j’en ai contre le langage politically correct qui vide la Nativité de son sens premier, sa signification religieuse.  Nous nous réveillons avec une montagne de gadgets entre les mains et une grosse coquille vide dans la tête.  Nous nous débattons dans l’angoisse de performance.  Nous semblons condamnés à la perplexité et à la tristesse.  Une tristesse d’adulte, c’est si difficile à soigner…

Un récit biblique scintillant

Le Noël dont je raffole, le Noël adulte dont j’ai besoin, c’est le Noël qui puise son énergie dans les récits bibliques.  Paradoxalement, Luc et Matthieu ne disent pas grand-chose du Bambino.  Mais ils racontent beaucoup de choses importantes pour la vie des croyants et des croyantes adultes.

Par exemple, je trouve beaucoup de plaisir à contempler le combat à finir entre deux paroles de force inégale.  Dans les textes des évangiles de la messe de la nuit et de la messe de l’aurore, deux paroles s'affrontent.  La parole de l'empereur romain semble mener le monde.  Cette parole impériale met en mouvement des populations entières pour une simple opération administrative.  On n'a pas le choix de s'y soumettre.  C’est la loi!  Puis, dans un recoin insignifiant de l’Empire, une parole divine se fraie un chemin, relayée par les messagers célestes.  La maison de Dieu fait irruption dans le monde humain.  Cette proclamation écrase la splendeur de l’empereur terrestre.  Ne nous y trompons pas : la prise de position a des répercussions politiques.  Nous voilà loin des gentils guili-guili pour provoquer les risettes d’un petit bébé…  Nous sommes plongés dans un match pour adultes avertis…  Quelle parole prendra le dessus?  La parole divine ou la parole impériale?

Ce n’est pas tout.  La rumeur angélique, saturée de gloire divine, met en mouvement le cœur des bergers.  Ces exclus se réjouissent.  Ils se rassemblent, ils se déplacent, ils vont à la rencontre de l'enfant.  Ils sont poussés à agir par une parole plus forte que la parole de l’Empire romain!  Comme si le village gaulois d’Astérix devenait soudain le nombril du monde romain…  Oui, oui, nous nageons en pleine controverse.  Les adultes carburent devant un tel paradoxe.

Profitons-en pour faire le ménage dans notre imaginaire poétique.  Les bergers n'ont jamais eu l'élégance maniérée des statuettes proprettes des crèches d'église.  Ces travailleurs des périphéries étaient méprisés par les Juifs soucieux de la pratique exacte de leur religion.  À cause de leur travail, les bergers qui séjournaient au champ ne pouvaient observer le repos du sabbat ou les coutumes alimentaires rigoureuses.  L'éloignement au champ des époux, séparés de leurs familles par le travail, exposait les femmes laissées à elles-mêmes à bien des dangers déshonorants.  Déshonorés de facto, méprisés sans plus de procès, les bergers sont des indésirables, des gens en dehors du groupe.  Des gens avec qui mieux vaut ne pas communiquer.

Dans le récit évangélique, le monde de Dieu fait irruption dans l’univers d’exclusion des bergers.  Par la grâce de la communication de Dieu, ces bergers deviennent, parmi les hommes et les femmes de l’Empire, le premier groupe des nouveaux croyants.  Les premiers à entendre l'invitation à accueillir le salut de Dieu.  Ils y répondent sur le champ.  Voici les premiers pas des humains réconciliés avec Dieu.

La fête du Tout-proche

Les bergers du premier Noël disent beaucoup sur la foi adulte.  Nous étions dispersés.  Nous pouvons désormais nous rassembler autour de Dieu.   Nous étions surtout pécheurs; nous sommes désormais des pécheurs sauvés.  Ces déplacements sont rendus possibles par la naissance d'un enfant!  Imaginons ce qu'il pourra offrir lorsqu'il aura conquis sa personnalité d'adulte, lorsqu’il aura affronté le déshonneur d’une mort honteuse qui débouche sur un relèvement parfait…  Après sa mort et sa résurrection, Jésus se verra attribuer des titres extraordinaires par les croyants.  Des titres que le livre d'Isaïe dédiait au futur sauveur: Merveilleux-Conseiller, Dieu-Fort, Père-à-jamais, Prince-de-la-Paix.  Cette liste concentre les espérances qui se fondent sur Jésus.  On comprend que l'enfant soit appelé et connu sous le nom hébreu Yeshoua: «Yahvé, sauve»!  Ce nom, Jésus, est une déclaration de foi et d'espérance.  Ce nom est un beau programme… même pour des adultes!

Le petit Yeshoua, ce Jésus «petit» réalise un exploit qu'aucun humain ne pouvait réaliser.  En lui faisant prendre corps chez nous, Dieu notre Père complète le chef-d’œuvre de sa magnifique création.  L'humanité trouve enfin son épanouissement dans un contact authentique avec la divinité.  Avec un faible nourrisson, Dieu ouvre les horizons de l'avenir pour toujours.  Avec un poupon, il peut rétablir la communication dans nos familles éclatées, nos parentés délabrées.  Avec Jésus, Dieu vient améliorer nos affaires humaines.  Il réveille la fraternité dans nos communautés attiédies.

Une fête pour adultes

Décidément Noël est une fête adulte, très adulte.  Une fête pour adultes avertis, qui conteste les religions qui repoussent Dieu loin de l’humanité.  Noël, c’est la fête du Tout-proche et du Très-Bas.  Ne succombons pas à la séduction des gens qui vident la fête de tout contenu religieux.  Cette fête de la Nativité, cette célébration de la prise en chair de Dieu doit être saturée de la présence de l’Enfant-Dieu.  Comme disent les Chevaliers de Colomb américains, «Keep Christ in Christmas!»  Sinon la fête n’est qu’un prétexte pour bonifier les résultats financiers…

La société de consommation, pratiquement païenne, veut nous diviser et nous isoler pour nous vendre toujours davantage.  Jésus veut nous rassembler et nous sauver.  Je dis «oui» à la fête de Noël quand elle proclame la présence de celui qui fait toute la différence du monde, Jésus, Fils très proche, messager par excellence du Dieu tout-puissant.  Oui à la fête de Noël qui nous redonne notre dignité comme le chante si bien l’Adeste fideles!  Enfants comme adultes, célébrons en peuple fidèle que le Seigneur appelle.  Et reconnaissons en Jésus de la crèche notre Dieu, notre Sauveur.  Un tel chant est un écho impeccable du récit des évangiles de Noël.  À mettre en évidence dans notre répertoire festif, pour remplacer le surréaliste Noël à Jérusalem!

Alain Faucher, prêtre

Première parution : Pastorale-Québec de décembre 2016 – Chronique biblique
30102016