Grande nouvelle : le parti «J’ai perdu mes élections» est majoritaire!

Echecs


Au moment où vous lisez ces lignes, le Québec se relève d’un grand rituel quadriennal, aussi indispensable que tragico-sérieux.  Nous avons vécu la première élection au Québec dont le déclenchement était planifié depuis des années.  Cette élection était attendue dans le calme plat par des citoyennes et des citoyens bombardés d’annonces pré-électorales. 

Si la tendance des sondages s’est maintenue, notre nouveau gouvernement est en place grâce à une minorité d’électeurs.  Faites le calcul : un parti qui caracole à 36% dans les sondages peut espérer emporter honorablement la mise!  Ce qui revient à dire que les gens qui «ont perdu leur vote» en votant pour un parti «perdant» sont majoritaires à 64%.  Ce n’est pas un psychodrame italien ou israélien, mais cela s’en rapproche dangereusement.  La majorité est toujours condamnée à ronger son frein pendant quatre ans.  Je ne sais pas si un sociologue ou un psychologue des masses a étudié ce traumatisme collectif à répétition.  Chose certaine, j’ai plus de chance que mes interlocuteurs me disent dans les prochains jours «J’ai perdu mes élections» que le contraire.  Bonjour l’ambiance!  Nous sommes une majorité de perdants.  Un peuple de mines basses.  Nous rêvons déjà à la revanche dans quatre ans… à moins qu’une miraculeuse réforme électorale insuffle un nouvel équilibre dans le système actuel.

Notre véritable identité

Tant qu’à y être, généralisons sans retenue : mon constat post-électoral ressemble au portrait de notre vie quotidienne.  Nous avons l’impression de vivre plus d’échecs que de succès.  Nous vivons beaucoup de «moments drabes».  Cela est déjà «looser» dans une culture hop-la-vie comme la nôtre.  C’est un constat d’échec catastrophique par comparaison avec les discours médiatiques centrés sur les gagnants et sur l’entrepreneuriat survolé.  Personne ne dit jamais cette évidence : si quelqu’un s’impose comme leader, il doit y avoir derrière quelques personnes pour le suivre.  Quelques personnes qui ne seront pas leaders, nécessairement…  Quelques personnes qui seront, au mieux, de bons numéros deux…

Inutile d’appeler un journaliste ou un commentateur de radio à la rescousse.  On ne s’intéresse qu’aux numéros un.  Vous ne pouvez probablement pas me nommer les gagnants de médailles d’argent des derniers Jeux olympiques.  Moi de même!  Seul le succès retient l’attention et s’imprègne dans la mémoire.  Pour un petit bout de temps…  Sic transit gloria mundi!

Le portrait complet de Jésus

Et nous voici aux portes du paradoxe biblique.  L’échec y est raconté de mille et une façons.  Ainsi, le messager de Dieu que nous suivons, Jésus, celui dont nous gardons précieusement la Parole, celui qui nous a rapprochés définitivement de Dieu pour notre adoption, celui-là est, de toute évidence, un perdant.  Un homme trahi, assassiné par les siens.  Un homme qui avait l’intuition qu’un mur se dresserait sur la route de son succès.  C’est triste : il avait raison.  Sa vie lumineuse a tourné au vinaigre de la croix.
Mais Dieu l’attendait dans le creux du creux.  Pour le relever.  Pour lui redonner un nom digne d’admiration.  Pour le promouvoir à la tête de tout.  Je n’invente rien.  Saint Paul et compagnie ont amplement déployé cette merveille.  Dans l’échec, la victoire.  Dans la mort, la vie.  Dans le rejet, la pertinence d’une pierre d’angle.
Cette mise en vitrine de l’échec victorieux surabonde dans le Nouveau Testament.  Le personnage-charnière entre le Nouveau et le Premier Testaments, Jean le Baptiste, a perdu la tête dans des circonstances particulièrement «bas de gamme».  Une beuverie entre notables dégénère en danse lascive.  L’artiste est récompensée par un trophée cadavérique récolté dans la prison du château.  Silence prophétique.  Plus perdant que ça, tu es mort.  Toi aussi.

Au commencement, des échecs à répétition

Les auteurs du Nouveau Testament sont allés à bonne école.  Le Premier Testament met en scène d’innombrables personnages aux prises avec des échecs retentissants.  Considérons l’exemple de la royauté.  On dirait que les échecs militaires ou les drames de palais occupent plus d’espace que la description rutilante de la vie de cour.
Dieu aussi est mis en échec.  Les désertions du peuple élu au bénéfice des cultes locaux de fécondité ne se comptent pas, tant ils sont nombreux dans la Bible.  Dieu a l’air d’une conjointe laissée pour compte.  Avec une carte en réserve dans son jeu : son offre d’alliance est plus résiliente que les cabotinages de ses alliés volages.  Dieu cumule les échecs dès le chapitre 3 de la Genèse, mais les cœurs égarés ne sont pas le dernier mot de l’histoire.  Dieu est toujours prêt à renouer l’alliance, à reconstruire.  De la poussière, il fait surgir des messagers solides comme du métal trempé, des Jérémie, des Ézéchiel…  Dans l’espérance qu’un jour, fils et filles de l’alliance sauront accueillir l’héritage perpétuel de l’adoption sans retour.

Le réalisme de l’élan missionnaire

Il ne faudrait pas oublier cette gestion biblique de l’échec quand nous missionnerons allègrement ou quand nous prendrons collectivement le virage missionnaire.  Notre message ne se limite pas à des clichés de sourires éclatants savamment retouchés ou des bras grand ouverts.  Il y a une dimension peu attirante dans le message chrétien que nous proposons.  La vérité de l’évangile concerne autant la joie du salut que les blessures avouées ou secrètes de nos vies.  Jésus n’est pas seulement un messager à succès ou une icône de leadership.  Jésus est d’abord un prophète assassiné.  Bafoué.  Déshonoré.  L’Évangile de la vie doit inclure la gestion de la peur et de l’échec retentissant.  Sinon, ce n’est pas un évangile, ce ne peut être une bonne nouvelle.

Voilà pourquoi l’Évangile peut et doit être proposé à tout le monde.  Tout le monde a, au moins, un grand pan de sa vie entaché d’échecs, de pertes, de déchéances.  Tout le monde a raté quelque chose dans sa vie.  Tout le monde s’est vu mis à part, relégué au trente-sixième dessous.  Tout le monde est tombé de haut.  Jésus comprend.  Car Jésus a vécu tout cela, à fond la caisse.  Jésus n’est pas un super-héros.  Il est vrai Dieu mais aussi vrai homme.  Il devait lui aussi avoir sa carte de membre du «parti des perdants».

Avec lui, grâce à lui, nous faisons partie de la majorité.  Celle des perdants en marche sur la route de la victoire éternelle.  Nous avons gagné notre élection.  Guidés par un tel Seigneur, nous sommes en marche vers le succès des succès.  Tant pis si nous y arrivons en clopinant et en boitillant…

Alain Faucher

31 août 2018 pour parution 4 octobre 2018 CHRONIQUE POST-ÉLECTORALE 
Première parution : Pastorale-Québec / Chronique DESSINE-MOI UN PERSONNAGE BIBLIQUE

26082018