Doux Jésus!

Doux Jesus

C’est à regret que je vois se terminer l’année B du Lectionnaire dominical.  J’aime bien la description de Jésus présentée par l’Évangile selon Marc.  Son Jésus survolté cadre bien avec l’hystérie de nos agendas quotidiens.  Dans cet Évangile, Jésus est un «petit vite» hyper-actif dont le mystère se révèle en seize chapitres.  Tout un contraste avec l’Année A, l’année Matthieu!  Dans ce long, long évangile, Jésus est plutôt un enseignant juif.  Il est porté sur les discours bien fournis et bien construits.  Jésus est un personnage sûr de lui.  Il propose un transfert de la Torah à sa personne.  Cet accomplissement de la Loi se résume dans une formule lapidaire : «Vous avez appris qu’il a été dit aux anciens… moi, je vous dis».  (Mt 5, 21.27.33)

Entre ces deux extrêmes des Années A et B, l’Année C du Lectionnaire dominical s’alimente à l’Évangile selon Luc.  Jésus a autant d’envergure qu’en saint Matthieu, mais son ton est autrement plus… diplomatique.  Le vaste écosystème littéraire lucanien confirme l’image du Jésus doux et humble de cœur, portrait trop rapidement esquissé en saint Matthieu.  Le personnage Jésus dépeint par saint Luc se résume dans l’expression populaire du «Doux Jésus».  Luc ne va pas jusqu’à préciser si ses yeux étaient bleus… mais il nous équipe pour apprécier le climat particulièrement lumineux installé par le passage de Jésus parmi nous.

Jésus, parole de salut

Odile Flichy affirme: «… le plan de salut divin annoncé par l’Écriture et accompli par Jésus continue de se dérouler dans l’activité missionnaire des apôtres et, au-delà, de ses disciples (dont le lecteur fait partie).» (Guide de lecture du NT, Bayard 2004, page 271)  Témoignent de cette incarnation du plan de salut divin plusieurs personnages fascinants, souvent pétris de références au Premier Testament : Zacharie et Élisabeth, Jean-Baptiste, Zachée, la femme au parfum  du repas chez Simon le pharisien, les marcheurs d’Emmaüs…

Luc est donc souvent considéré comme l’évangile de l’histoire du salut.  Jésus y fait route vers le Père au milieu des humains.  L’évangile utilise 50 fois le verbe «faire route»!  Les temps arrivent à maturité dans l’Évangile selon Luc.  Le fil conducteur est clairement exprimé à la synagogue de Nazareth.  Le discours de Jésus expose le thème de l’évangile : la grâce de Dieu qui libère, guérit et sauve s’est manifestée dans la personne et l’action de Jésus.»  (Nouvelle Bible Segond, Alliance biblique universelle 2002, page 1330)  En font foi les nombreuses paraboles de la miséricorde.

Les propos de Jean Radermakers, dans le Dictionnaire encyclopédique de la Bible (Brepols 1987) sont particulièrement éclairants : «Jésus est la Parole de Dieu adressée aux hommes dans la puissance de l’Esprit Saint.»  Jésus se donne comme la Parole de la grâce de Dieu (Actes 20, 24; Luc 4, 22) qui vient visiter les humains.  Jésus inaugure parmi eux le Royaume de Dieu, leur signifiant l’aujourd’hui du salut (2, 11; 4, 21; 19, 5.9; 23, 43).

La miséricorde de Dieu envers l’humanité est reconnue et devient contagieuse.  C’est là l’événement essentiel qui advient dans le monde.  Le vocabulaire insiste sur cet avènement.  Le verbe « arriver» est utilisé 129 fois en Luc et 124 fois dans Actes, tandis que l’expression «et/or il arriva» revient 36 fois en Luc.  Libérateur des humains, Jésus est appelé le Sauveur (2, 11).  Malgré son rôle capital, il se fait l’ami des pécheurs, rend à l’individu sa dignité, révèle à la femme sa vraie grandeur. Solidaire des humains, Jésus demeure en même temps entièrement tourné vers son Père (2, 49; 23, 46).  Il vient révéler sa tendresse compatissante (7, 13; 10, 33; 15, 20).  On voit souvent Jésus en prière.  Sa dernière parole en croix et une prière de confiance (23, 46).  Aussi Luc peut-il être considéré comme l’évangile de la prière, car il permet aux chrétiens de partager l’intimité de Dieu, dans la joie et la louange.

Jésus, fascinant prophète

Jésus est un porte-parole, littéralement : un prophète.  La foi dans la parole de Jésus apporte le salut, car il est un prophète puissant, en actions et en paroles, devant Dieu et tout le peuple (24, 19).  Il rend possible la conversion et le pardon.  À la tête de son «Club de marche» vers Jérusalem, Jésus suit un chemin d’Exode comme Moïse.  Jésus est le dernier prophète.  Conformément à la tradition, il sera rejeté par le peuple.

Comme un nouvel Élie, le «Jésus de Luc est un homme de compassion, généreux en gestes de guérison.»  Il est sensible à la détresse de la veuve de Naïm privée de son fils unique (7, 11-17).  Il guérit l’oreille du serviteur blessé lors de l’arrestation (22, 51).  Pour d’autres exemples, consulter Daniel Marguerat dans Introduction au Nouveau Testament, Labor et Fides, 2001, page 100.  Jésus vit en contact profond avec ce qui était méprisé dans la bonne société : les Samaritains, les femmes, les pauvres et les petits.

Jésus meurt martyr, mais dans la dignité qui convient à sa compassion de Sauveur.  Ses générosités ne concernent pas que des bonnes choses insérées dans l’horizon des temps qui sont les nôtres : grâce à lui, Dieu donnera l’Esprit (comparer Matthieu 7, 11 avec Luc 11, 13).

Jésus, référence pour aujourd’hui

Le Jésus de Luc, ce «doux Jésus», n’est certainement pas une dilution du personnage.  Luc met en scène un Jésus énergique, clairvoyant, percutant, dérangeant, stimulant, encourageant…  Au-delà de l’attrait du personnage, il nous réconcilie avec nos élans les plus constructifs.

Avons-nous besoin de ce personnage, ce Jésus à la fois fort en parole et si réconfortant? Oui!  La conjoncture mondiale a plus que jamais besoin de croiser «un doux Seigneur».  La vague de durcissement des cœurs (précipitée par le narcissisme américain) cristallise une tendance globale de revendication hargneuse et de méchanceté institutionnalisée.  On ressent un déficit systématique d’actions de bonté et de miséricorde.  Ces ingrédients sont plus que jamais nécessaires, par exemple pour contrer les effets toxiques des changements climatiques et des migrations forcées par l’urgence.  Nous sommes soudainement paralysés dans nos générosités par des règlements odieux et des obstacles physiques…  Nous avons besoin d’élargir l’horizon des services humanitaires.  Dès le début de la saison de l’Avent, l’Évangile selon Luc nous invite à ne pas rester rivés au seul niveau des faits bruts.  Ces événements, parfois terrifiants, ne sont qu’un sous-texte des réalités porteuses : «Quand ces événements commenceront, redressez-vous et relevez la tête, car votre rédemption approche.» (Luc 21, 28)

Le monde ecclésial va trouver profit à contempler et à imiter ce doux Seigneur.  En cette période intense de chambardements ecclésiaux, nous devons maintenir l’essentiel.  Nous centrer sur Jésus, le beau nom au-dessus de tout nom.  À temps et à contretemps, nous voudrons insister sur la centralité de Jésus dans ce que nous contemplons et entreprenons comme disciples-missionnaires.

Alain Faucher

5 octobre 2018 pour parution 8 novembre 2018 
À l’occasion de l’entrée dans le Lectionnaire de l’Année C, l’Année Luc

Première parution : Pastorale-Québec / Chronique DESSINE-MOI UN PERSONNAGE… BIBLIQUE!
01102018