Des Fake news… depuis deux mille ans!

Fake news


Malheureux, ces gens qui déclarent bien ce qui est mal, et mal ce qui est bien, qui font des ténèbres la lumière et de la lumière les ténèbres, qui rendent amer ce qui est doux et doux ce qui est amer ! (Isaïe 5,20)

Fake news.  L’expression est devenue courante dans les médias du monde entier, comme si elle avait toujours été présente dans notre langage quotidien.  En fait, elle nous est tristement familière depuis 2016.  Les multiples écarts de langage et les attitudes gavroches du président du pays voisin ont mis en vedette des affirmations sans commune mesure avec la réalité.  Désormais, tous les médias qui se respectent offrent une chronique de vérification des faits.

Pourtant, quand on y pense un peu, des fausses nouvelles, des rumeurs orchestrées pour déstabiliser, cela n’est pas une nouveauté.  Au XXe siècle, ces pratiques faisaient partie de l’arsenal de propagande guerrière de nos civilisations occidentales.  La vérité, disait-on, est la première victime de chacune des grandes guerres…

Nous l’avions plus ou moins remarqué, mais la Bible met en scène ce genre de situations.  On y croise des propagateurs de fausses nouvelles, avérés ou soupçonnés.  Par exemple, la propagation de «fausses» alarmes est une accusation souvent adressée aux prophètes : «J’entends les calomnies de la foule : « Dénoncez-le !  Allons le dénoncer, celui-là, l’Épouvante-de-tous-côtés. »  (Jérémie 20,10).  Les textes à coloration apocalyptique mettent parfois en scène des symboles du pouvoir dont les propos semblent délirants.  Ainsi, Daniel 7, 8.11 décrit des cornes qui parlent…

Un comportement planifié

Le dernier chapitre de l’Évangile selon Matthieu met clairement en vedette des fabulateurs et des colporteurs de fausse nouvelle.  Des soldats reçoivent instruction de contrer la nouvelle de la Résurrection de Jésus en rabaissant la situation à un vol de cadavre :
 

«Tandis que (les femmes) étaient en chemin, quelques-uns des gardes allèrent en ville annoncer aux grands prêtres tout ce qui s’était passé.  Ceux-ci, après s’être réunis avec les anciens et avoir tenu conseil, donnèrent aux soldats une forte somme en disant : « Voici ce que vous direz : “Ses disciples sont venus voler le corps, la nuit pendant que nous dormions.”  Et si tout cela vient aux oreilles du gouverneur, nous lui expliquerons la chose, et nous vous éviterons tout ennui. »  Les soldats prirent l’argent et suivirent les instructions.  Et cette explication s’est propagée chez les Juifs jusqu’à aujourd’hui.»  (Matthieu 28, 11-15)

Cet épisode met en scène des personnages anonymes.  Il est proclamé à la messe du Lundi de Pâques.  Généralement, nous n’y portons pas tellement attention.  Nous sommes trop occupés à gérer les lendemains de Triduum…  Mais cette année, c’est différent.  Le contexte politique permet d’en laisser émerger plusieurs pistes d’actualisation.  L’épisode nous enseigne des choses bien utiles pour notre gouverne comme disciples impliqués dans un renouveau missionnaire.

Plus ça change…

Par exemple, nous constatons que la communication la plus claire peut être profondément perturbée par des intervenants malveillants.  On ne peut jamais prendre pour acquis que le message proposé, si beau et précis soit-il, sera intégralement transmis et reçu sans distorsion.  En contexte de discipulat missionnaire, c’est un constat important.  Notre discours constructif peut être perçu et répercuté bien différemment par des oreilles peu sympathiques…

Une autre piste d’actualisation concerne la corruption.  Dans une société où tout se paie, le sens moral peut être endormi avec un montant d’argent.  Devant de telles pratiques, la logique et le gros bon sens de nos discours s’avèrent impuissants à convaincre.  Des soldats peu professionnels ont l’air plus sympathique que des disciples qui trimbalent un cadavre!  Nous, nous les trouvons peu édifiants, ces soldats vénaux.  D’autant plus qu’on aurait dû les juger peu compétents à leur époque.  Pensez-y un peu : ils auraient laissé agir à leur guise des disciples voleurs de cadavre…
Les dirigeants religieux, capables de prendre des décisions au plus haut niveau, sont aussi décrits de manière peu sympathique.  Ils agissent comme des comploteurs capables de tout.  On voudrait que cette caricature soit décalée par rapport à la réalité qui a cours actuellement...  Il nous appartient, avec notre éthique professionnelle et notre déontologie, d’éviter de «manger de ce pain-là»…  Mais il faut s’y faire.  Même dans les rangs clairsemés des pratiquants, certaines personnes jugent préférable de limiter le pouvoir de transformation de l’Évangile.  Ces gens bien intentionnés jugent que leur intérêt est mieux servi par le statu quo que par la circulation de la Parole…

Tenons-nous le pour dit…

Les interactions des personnages décrites par Matthieu ont des conséquences pour notre implication croyante, vingt siècles plus tard.  Ces interactions évoquées en quelques lignes nous placent devant un fait brutal.  Dès le début de l’aventure de la foi en la Résurrection, une opposition consciente et organisée s’est manifestée de manière systématique. Certes, il nous manque des détails.  Nous n’avons pas les noms des opposants, pour la plupart du moins.  Pourtant, leur opposition a forcé la clarification du discours chrétien.  Devant les blocages systématiques, il a bien fallu approfondir, détailler, démontrer, expliquer…

Cet épisode de falsification des nouvelles de l’Évangile selon Matthieu ressemble au triste spectacle de désinformation qui se déroule jour après jour chez nos voisins du Sud…  Cet épisode de l’évangile nous rejoint aussi dans nos difficultés à évangéliser.  Étonnant tout ce que des personnages anonymes de la Bible peuvent nous faire comprendre de notre propre situation aujourd’hui…  Ne soyons pas surpris si, aujourd’hui encore, des communicateurs de talent se font une joie d’utiliser les médias disponibles pour ridiculiser, dénigrer et essayer d’éradiquer l’espérance.  Ces personnes à la langue agile relancent, à leur façon et sans le savoir, la grande tradition biblique qui gère l’opposition en affirmant avec ironie sa contrepartie : Dieu aura le dernier mot.

Alain Faucher, prêtre

Première parution:  la revue Pastorale-Québec de l’été 2018
Chronique biblique «Dessine-moi un personnage… biblique!»
08042018