Une subvention Développement savoir du CRSH est accordée au professeur Doane

Herméneutique écologique interdisciplinaire

Une subvention de 51 839$ sur deux ans a été accordé au professeur Sébastien Doane pour sa recherche en herméneutique écologique interdisciplinaire.

Description détaillée

Objectifs

Objectif général : Développer une herméneutique écologique interdisciplinaire en interprétation biblique

Objectifs spécifiques :

  1. Cartographier les stratégies interprétatives et les paramètres utilisés en herméneutique écologique.
  2. Approfondir des apports interdisciplinaires pouvant contribuer à l’interprétation de la Bible à partir des enjeux environnementaux.
  3. Proposer un cadre théorique cohérent en herméneutique écologique interdisciplinaire et des exemples d’application à l’intention des chercheurs et des étudiants gradués.

Contexte

La crise environnementale est un des problèmes les plus importants du 21e siècle. Les défis mondiaux de demain du CRSH comme « la vie en fonction de la capacité limite de la Terre » et « la contamination généralisée des milieux naturels » indiquent l’importance de l’enjeu auquel ce projet apportera des réflexions novatrices. Martin-Schramm et Stivers (2003: 10) indique cinq facteurs qui ont contribué à cette crise : la surpopulation, la surconsommation, l’usage de technologie endommageant les écosystèmes, des systèmes politiques et économiques qui encouragent la dégradation de la nature et des attitudes anthropocentriques envers la nature. Les études religieuses et spécifiquement les traditions bibliques peuvent servir de levier pour ce dernier facteur qui concerne les attitudes et la vision du monde (Horrell 2014: 6). En 1967, l’historien Lynn White blâmait le christianisme et son anthropocentrisme dans ce qu’il appelait déjà « crise écologique ». Or, il indique aussi que les études religieuses doivent contribuer au changement: « What people do about their ecology depends on what they think about themselves in relation to things around them. Human ecology is deeply conditioned by beliefs about our nature and destiny – that is, by religion… More science and more technology are not going to get us out of the present ecological crisis until we find a new religion, or rethink our old one. » (White 1967: 1205-1206) Ainsi, l’exégèse doit contribuer au développement d’un rapport plus sain avec l’environnement.

L’importance, l’originalité de la recherche

Les textes bibliques n’ont pas été écrits dans un contexte de changements climatiques, de contamination généralisée des milieux naturels ou de l’âge anthropocène. Pourtant des chercheurs ont commencé depuis quelques décennies à interpréter la Bible à partir des enjeux environnementaux. La recherche s’est surtout concentrée sur quelques textes bibliques (Gn 1-2; 6-9; Lv 25; Job 37-39; Ps 8; 19; 24; 98; 104; Is 9-11; Ez 36; Mt 6,28-30; Rm 8,18-23; Col 1; Ap 21-22). Cette sélection trop étroite ne s’intéresse qu’à une infime partie des textes bibliques. Elle occulte les passages qui ne traitent pas directement du rapport à la nature. Aussi plusieurs publications manquent de perspective critique dans le rapport à la Bible en formulant une écothéologie façonnée uniquement par les « pages vertes » de la Bible (Horrell 2010). Enfin, la recherche biblique se déroule souvent en vase clos en utilisant les outils exégétiques sans dialogue avec les sciences de l’environnement, les études animales, la philosophie ou l’anthropologie.

Si l’interprétation est une praxis qui vise la compréhension un texte en particulier, l’herméneutique est une réflexion seconde au sujet des pratiques interprétatives (Conradie 2004; 2006; 2008; 2010: 296-297). Plusieurs articles interprètent des textes bibliques de manière écologique sans réfléchir explicitement sur la méthodologie qu’ils utilisent, sur leurs présupposés interprétatifs ou sur les théories pouvant permettre d’établir un regard critique. L’originalité de ce projet est de préciser un cadre théorique cohérent et fécond en développant une réflexion herméneutique sur l’interprétation de la Bible à partir des enjeux écologiques en conversation avec d’autres disciplines. À terme, nous proposons d’écrire un livre de référence pour orienter chercheurs et étudiants gradués voulant entreprendre des travaux dans ce domaine émergeant.

Et si les études bibliques avaient quelque chose à offrir à l’écologie et aux études animales, voire aux débats sociaux? Notre recherche propose de partir des réflexions sur l’écologie et sur les études animales pour mieux lire la Bible, mais nous pensons que la relation inverse pourrait aussi être possible. La politique américaine récente illustre comment la foi chrétienne et l’interprétation de la Bible jouent un rôle important dans les décisions sociétales (Maier 2010). Une compréhension critique du rapport à l’environnement dans les textes bibliques telle qu’elle est envisagée par cette recherche pourrait avoir un apport bénéfique sur le rapport à l’environnement de ceux et celles qui tiennent ces textes comme sacrés.

Rapport aux autres travaux universitaires

Le groupe Earth Bible et l’Exeter project sont les deux pôles importants dans la recherche actuelle. Norman Habel est la figure principale derrière la série Earth Bible Commentary. Il propose une méthodologie tripartite : « suspicion, identification, retrival » (Habel 2008). Ainsi, les exégètes sont encouragés à développer un soupçon envers les textes et leurs interprétations souvent anthropocentriques. Puis, au lieu d’étudier la nature comme un objet, Habel propose aux interprètes de s’identifier aux éléments non humains des textes pour retrouver leur voix propre. Il s’appuie sur six principes de justice écologique (intrinsic worth, interconnectedness, voice, purpose, mutual custodianship, resistance) pour un changement de posture radical qui place la Terre comme sujet du texte biblique. L’ensemble des volumes de la collection Earth Bible Commentary déploie les thématiques écologiques présentes dans les livres bibliques commentés (Habel 2011; 2014; Trainor 2012; 2020; Person 2014; Rees 2015; Wainwright 2016; Tonstad 2016; Turner 2019; Havea 2020; Daly-Denton 2019; Balabanski 2020; Lamp 2020; Sinnott 2020). Chaque auteur utilise une approche particulière. Par exemple, Person (2014) commente le rapport à l’écologie du Deutéronome en s’inspirant de la philosophie de Heidegger, Gadamer, Habermas et Ricœur, mais aussi de l’archéologie, de la zooarchéologie, et même des approches féministes et postcoloniales. Cet exemple montre bien que l’herméneutique écologique est une pratique interdisciplinaire dont les balises doivent être examinées. Dans cette série, l’interprétation écologique est poursuivie avec diverses méthodes exégétiques comme l’analyse socioculturelle (Trainor 2012), l’analyse de la réponse du lecteur (Wainwright 2016), l’intertextualité (Daly-Denton 2019) ou l’analyse narrative (Halvea 2020).

L’Exeter Project (Horrell, Hunt, Southgate 2010; Horrell, Hunt, Southgate et Stavrakopoulou 2010 et Horrell 2014) opte pour un regard théologique et éthique dans leur recherche sur l’herméneutique écologique (Conradie 2010). Ils s’intéressent notamment aux effets environnementaux de l’histoire de l’interprétation de la Bible dans les traditions chrétiennes (Ludlow 2010; Wynn 2010; Santmire 2010; Tompson 2010; Moss 2010; Louth 2010; Law 2010). Selon les membres de l’Exeter Project, les travaux du Earth Bible Commentary se détachent de la théologie chrétienne par leur exégèse particulièrement critique et par l’usage d’expression les plus universelles possibles (Conradie 2010: 307-310). À l’inverse l’objectif de l’Exeter Project prend une posture interne à la foi en partant de l’interprétation biblique pour reformuler la doctrine chrétienne à partir de perspectives environnementales (Southgate 2010: 245).

En plus de ces deux groupes, l’intérêt écologique se développe à l’intersection des études animales et de l’exégèse (Campbell 2014; Gross 2015; Miller 2018; Johnson 2014; Deane-Drummond 2014; Schaefer 2015; Meyer 2018; Berkowitz 2019). Sherman (2020) reprend même l’expression de Weil (2012) « animal turn » pour décrire le changement de paradigme de l’interprétation biblique qui s’est récemment ouverte à l’importance des animaux. Comme l’indique Stone (2018:7-8), il n’y a pas une méthodologie issue des études animales pouvant s’appliquer aux textes bibliques. Les chercheurs poursuivent des objectifs diversifiés à l’aide de cadres conceptuels tout aussi diversifiés. Par exemple, Rowland (2012) explore les capacités émotionnelles, intellectuelles et morales des animaux. D’autres comme Rudy (2011) et DeMello (2012:7) s’intéressent aux aspects éthiques du traitement des animaux. Un important courant philosophique des études animales explore le concept de l’animalité pour comprendre les animaux non humains et humains (Derrida 2008; Calarco 2015; Wolfe 2003) et l’instabilité des distinctions entre ces catégories (Agamben 2003). Les chercheurs qui utilisent un regard plus philosophique se questionnent sur la « différence » entre les humains et les autres animaux ainsi que sur les frontières instables qui mènent à des questions reliées aux genres, aux classes, à l’ethnicité et à la façon dont « l’autre » est conçu (Koosed 2014; Stone 2018; Moore 2014; 2017; Scheuer 2017; Strommen 2018). Sherman (2020: 38) indique que les questions posées par les études animales restent sous-utilisées par les exégètes. Notre recherche vise précisément à répondre à ce constat de Sherman en étendant son propos à l’herméneutique écologique.

Pertinence de l’approche proposée

Les trois regroupements que nous avons décrits (Earth Bible Commentary, Exeter Project et les travaux en études animales) portent un élément commun : la critique de l’anthropocentrisme dans les textes bibliques et dans leurs interprétations. Notre projet sera particulièrement sensible à ce problème et visera les façons de débusquer les anthropocentrismes bibliques et interprétatifs. L’herméneutique écologique profite d’une grande flexibilité. Notre recherche ne vise pas à figer ces discours, mais d’abord à les cartographier, pour générer des recherches de plus en plus conscientes des aspects théoriques et conceptuels sous-jacents aux applications interprétatives.

Contrairement aux travaux concernant les études animales dans la Bible hébraïque de Ken Stone (2018) qui fonde son exégèse par une approche interdisciplinaire, les travaux en herméneutique écologique des groupes Earth Bible Commentary et Exeter Project utilisent des cadres théoriques presque exclusivement exégétiques et théologiques. L’ouverture interdisciplinaire de notre projet de recherche permettrait un développement novateur en herméneutique écologique.

Parcours de recherche du chercheur émergeant

L’herméneutique écologique est un intérêt récent qui a pris une place importante dans la trajectoire de la recherche du candidat principal. Sa thèse de doctorat (Doane 2019a) portait sur Mt 1-2 à partir de l’analyse de la réponse du lecteur (reader-response). Ce cadre méthodologique l’a rendu attentif aux divers enjeux herméneutiques de l’acte de lecture. L’interprétation écologique de la Bible part d’enjeux propres aux lecteurs contemporains qui entrent en dialogue avec des textes anciens. Les approches interprétatives centrées sur la réception comme le reader-response sont des outils particulièrement féconds pour ce type d’analyse. Ses recherches subséquentes portent notamment sur l’interprétation biblique à la lumière des études des masculinités (Doane 2019b; 2021). Comme la question écologique, celle de la construction de genres peut être éclairée par l’analyse de la réponse du lecteur puisqu’elle provient d’un regard sur les textes bibliques à partir d’enjeux et de théories modernes (Stone 2018: 6-7). En mai 2019, Sébastien Doane a participé à l’enseignement d’une école d’été de l’Université Laval sur l’écologie et la théologie. Il a aussi offert un séminaire de cycle supérieurs sur l’interprétation de la Bible à la lumière de la crise écologique à l’automne 2021. Sur le plan de la recherche, il a fait une présentation au sein du groupe Ecological hermeneutics de la SBL 2020: « The Witness of the Stone That Heard: An Ecological Reading of Joshua 24 » en cours de publication dans la revue Théologiques. Un éditeur de Lexington qui était présent a offert de publier les résultats de ses recherches. À la SBL 2021, sa présentation « From Mourning Beasts to Rejoicing Soil: Joel 1-2 and Ecological Trauma » a adopté une approche interdisciplinaire à partir de l’apport des théories du trauma aux questions écologiques (Kaplan 2016; Cunsolo & Landman 2017; Craps 2020) et a mené à la publication de l’étude (Doane 2021b). Chercheur associé de l’Université Catholique de Lyon le candidat participe avec la collaboratrice au projet d’exploration sur les relations entre humains et animaux. Le professeur Doane a cofondé et rédigé le projet de lancement du groupe de recherche herméneutique biblique et études animales du RRENAB et mène avec David Carr (UTS) et Suzanna Millar (Edinburg) un groupe visant la fondation d’une unité de recherche sur l’étude interdisciplinaire des animaux dans la Bible à la SBL. Au printemps/été 2022, il offrira des présentations en herméneutique écologique lors de quatre congrès (ACÉBAC, RRENAB, CSBS et EABS) en plus d’être invité à présenter à un colloque interdisciplinaire sur la fragilité animale à l’Université catholique de Lille. Bref, le candidat démontre qu’il a déjà commencé le développement d’une expertise en enseignement et en recherche sur la thématique de cette demande de subvention.

Diffusion des résultats

Le livre prévu au terme de cette recherche guidera la recherche subséquente en fournissant un cadre théorique le plus pertinent possible. Les chapitres de ce livre seront élaborés par des présentations aux congrès nationaux et internationaux auxquels nous prévoyons participer. Cette écriture sera aussi nourrie par le séminaire crédité de cycles supérieurs et les initiatives de diffusion qui sont détaillés dans le plan de mobilisation des connaissances. Ce livre cherche à ouvrir l’herméneutique écologique aux apports interdisciplinaires tels que les théories du trauma, les théories de l’affect, l’éthique, les études animales, la philosophie non humaine ou post-humaniste et les humanités environnementales. Chaque chapitre proposera de lire un texte biblique à partir d’un cadre théorique provenant d’une autre discipline. L’objectif n’est pas de cerner des étapes méthodologiques qui pourraient être facilement appliquées d’un texte à l’autre, mais de montrer comment des idées théoriques créatives peuvent aider les chercheurs à lire la Bible au milieu de notre crise environnementale.

Par exemple, à partir de la théorie de l’affect (Ahmed 2015; Deleuze et Guattari 1980; Massumi 2002, 2010) nous explorerons les intensités affectives circulant entre les corps d’animaux (humains et autres) et le sol à l’occasion d’une catastrophe écologique décrite en Joël 1-2 où les intensités affectives circulent entre les corps terrestres, mais sont également présentées en relation avec le Seigneur comme une forme de la prière. Nous nous appuierons sur le travail de Schaefer (2015) qui reconsidère la religion en explorant les schémas émotionnels qui composent la religion chez les animaux — humains et non humains — ainsi que King (2014), De Waal (2019) et Krause (2017) qui explorent le deuil des animaux. Devant une catastrophe annoncée, la lecture de Joël 1-2 devient une invitation à devenir attentif à la circulation des affects pour comprendre les relations imbriquées et interconnectées de toutes les formes de vie dans un texte biblique et comment celui-ci peut à son tour nous affecter.

Un autre exemple vise à déstabiliser la hiérarchie animale (Chen 2012) au contact du post-humanisme (Wolfe 2010; Braidotti 2013 Haraway 2016). En nous appuyant sur Moore (2017) qui présente Jésus en Jean comme animal non humain « Voici l’agneau de Dieu » (Jn 1,36), nous prévoyons investiguant le devenir-disciple de l’évangile selon Jean comme un devenir animal et plante. Le Jésus animal(agneau)/plante(vigne) de Jean reconfigure ses lecteurs.trices en révélant que nous sommes toujours plus qu’humain. Lire Jean permet un contact renouvelé avec l’environnement qui n’est pas un endroit où l’on vit, mais ce qui forme notre identité corporelle. La pensée cartésienne a érigé des frontières entre l’humanité, l’animalité et le divin qui semblent naturelles. Pourtant, elles sont des constructions sociales fluides. Traverser ses frontières par la lecture d’un texte ancien aide à développer une réponse créative à notre crise écologique par la prise de conscience d’une connexion spirituelle avec ce qui nous entoure et ce qui nous forme. Cette prise de conscience peut-être une étape importante vers une transformation des pratiques pour répondre à la crise écologique de façon créative. 

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